Livre: Le syndicalisme dans la France occupée

Michel Margairaz, Danielle Tartakowsky (dir.), Le syndicalisme dans la France occupée. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 508 p.

L’ouvrage Le syndicalisme dans la France occupée est tiré des travaux et des discussions du colloque organisé les 1er et 2 décembre 2005 par le Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle et deux équipes de recherches de Paris 8, l’IDHE et le laboratoire « Histoire des pouvoirs, des savoirs et de la société ». Ce livre imposant succède aux quelques publications importantes sur ce thème que sont le numéro spécial du Mouvement social consacré aux syndicalismes sous Vichy, Les ouvriers en France durant la seconde guerre mondiale sous la direction de Peschanski et de Robert et Syndicats nous voilà de Le Crom, tous parus il y a déjà plus d’une dizaine d’années. C’est dire si cet ouvrage collectif comble un manque en offrant, si ce n’est une synthèse, une somme très complète des nouvelles recherches menées grâce au retour de Moscou ou à la réapparition (archives Jayat) de fonds de la CGT.

Le livre offre en effet un tour d’horizon complet du syndicalisme sous l’Occupation autour de trois parties : le syndicalisme patronal, le syndicalisme salarié (public et privé) et les pratiques syndicales (locales, interprofessionnelles et itinéraires militants). Trente-deux contributions permettent au lecteur de mesurer, si ce n’était pas encore le cas, combien ces années que l’on savait sombres, ont été également troubles. Les frontières, longtemps réputées infranchissables, entre syndicalisme légal et illégal, Résistance et Collaboration, chartistes et anti-chartistes, montrent ici une certaine perméabilité et parfois même de la porosité. Et ce constat est valable pour tous les syndicalismes, en dépit de leur diversité.

Si l’on savait que le patronat était favorable à l’instauration du nouveau code social voulu par Vichy, son concours n’est pas sans réserves. En effet, les cas étudiés ici tendent à montrer des différences marquées selon les professions et les catégories.

Le grand patronat, par exemple, constitue un appui à Vichy. Il voit son rôle et ses prérogatives accrues. Il participe directement à l’élaboration de la Charte du travail, ce qui lui permet de négocier le prolongement des anciennes structures existantes, à l’instar du BTP ou de l’UIMM, et de limiter au maximum la représentation salariale. Il conserve la mainmise sur l’économie grâce au maintien des Chambres de commerce et à la création de Comités industriels et commerciaux d’organisation dans le cadre de la Charte du Travail. Enfin le caractère social voulu par l’esprit de la Charte est bien souvent absent de la pratique, à l’exception notable de la soierie lyonnaise où le patronat, traumatisé par les évènements de 1936 et la « politique négative » qui les avait engendrés, développe un réseau d’œuvres sociales notable afin d’éviter que l’Histoire ne se répète.

En somme, le patronat rencontre bien plus de problèmes avec les contraintes de l’occupation allemande, comme le syndicat professionnel des producteurs de matières plastiques, qu’avec Vichy. À l’inverse de Chassagne et Magnien, tous deux ex-militants cégétistes passés au service du syndicalisme patronal avec la défaite, la guerre n’amène pas les représentants patronaux à modifier fondamentalement leurs positions antérieures, exprimées sous la IIIe République. On pourrait même presque parler des origines républicaines du syndicalisme patronal sous l’occupation. Nous trouvons d’abord un refus de toute étatisation de l’économie, qui avait valu au Front populaire une opposition farouche ; ensuite la défense d’un corporatisme pragmatique, mais rarement idéologique, et qui a également existé dans le camp ouvrier avec le planisme ; enfin l’antisémitisme, particulièrement présent dans la Famille du Cuir dès les années 1930.

Ce sont ces mêmes motivations qui poussent, a contrario, les représentants du petit patronat à adopter progressivement une attitude plus critique, voire oppositionnelle, envers le régime du Maréchal Pétain. Alors que l’artisanat avait été la seule branche syndicale à ne pas voir ses structures confédérales dissoutes en 1940, Vichy se résoudra à les supprimer en 1942 tant les attaques et les griefs de la profession sont durs à l’encontre des projets gouvernementaux : critique de la répartition des matières premières favorisant les grands industriels, cas de refus de la politique d’aryanisation des entreprises juives, rejet massif du STO, opposition ferme à la Charte du travail. Chez les maîtres-coiffeurs, on ira jusqu’à dire qu’accepter l’application de la Charte reviendrait à donner les rênes du métier aux hommes du Front populaire !

Coté ouvrier, le syndicalisme légal est caractérisé par sa faiblesse numérique. La fédération des services publics passe de 180 000 adhérents en 1938 à 29 000 en 1941 tandis que durant la même période celle de la métallurgie perd 800 000 membres pour tomber à 30 000. Et aux vues des pratiques comptables de la période, étudiées dans la troisième partie du livre, on peut estimer que ces chiffres sont largement surestimés. La tentative de rénovation syndicale voulue par l’État français s’avère donc être un échec. En 1944, il se trouvera tellement peu de candidats au moment de l’instauration des syndicats uniques que des opposants au régime, connus et reconnus, « aux idées de gauche avancées », seront quelquefois et quelquefois recommandés pour en prendre la direction. À la chute des effectifs, s’ajoute une activité syndicale limitée par le cadre juridique et qui se résume la plupart du temps à des contacts avec l’administration vichyste et parfois avec certains ministres, comme Belin et Dautry. En dehors de l’instauration de la caisse de prévoyance pour les ouvriers de l’Eclairage et de l’adoption du statut des dockers, rares sont les améliorations obtenues par le syndicalisme légal sur la question des salaires, que ce soit à cause de l’opposition de Vichy ou de celle de Berlin. La grève étant interdite, les syndicalistes légaux n’en useront jamais malgré la montée des mécontentements. Elle sera l’arme de la Résistance. C’est ici que s’illustre le mieux la césure entre les « fédéraux » et les clandestins. Chez les mineurs, corporation stratégique et très agitée durant l’Occupation, cette différence se fait rapidement, dès 1941, lors de la grève du Nord et du Pas-de-Calais, à laquelle les syndicalistes légaux opposeront « Contre la grève politique, répondons par le travail pour la France ». Cet antagonisme, que l’on retrouve quasiment chaque fois qu’un mouvement est déclenché, conduira à l’exécution par la Résistance de certains syndicalistes chartistes comme Mathus à Montceau-les-Mines ou Arnaud dans la Loire.

Mais en dehors de cette pratique gréviste, somme toute peu utilisée vu les risques encourus, la distance entre syndicalisme légal et illégal se réduira au fil du temps. Ainsi Jayat des services publics (réseau Libération-Nord) utilise la colonie de vacances de la fédération pour cacher des résistants. Des entrevues ont lieu entre des membres des fédérations légales et illégales des transports et des cheminots. Des opposants à la Charte se retrouvent dans des directions fédérales légales parfois aux cotés de vrais pétainistes comme Cazals à la fédération des transports ou Chevalme à la fédération des métaux dont le secrétaire général Roy est même l’un des rares syndicalistes-collaborateurs, souhaitant la victoire de l’Allemagne et condamnant les attentats. Dans trois fédérations (Éclairage, Services publics et Cheminots), les opposants parviendront à être majoritaires grâce à l’entrisme des clandestins. Ils condamneront officiellement la Charte du travail à partir de 1943 et démissionneront de leurs responsabilités dans les nouvelles structures mises en place.

Concernant la politique d’exclusion (juifs, communistes, francs-maçons) qui touche principalement la fonction publique et les métiers artistiques, il semble que les actions aient été peu nombreuses. On notera toutefois les démarches de la fédération ferroviaire en faveur de cheminots arrêtés ou l’intervention remarquée du syndicat des machinistes de l’Opéra de Paris posant la question, lors d’une réunion du comité d’organisation, de la garantie des droits individuels pour les artistes juifs. Ce même syndicat avait également mis en place une filière d’évasion.

Si les résultats de la pratique syndicale sont minimes, ils sont en quelque sorte le reflet de la pratique elle-même. En effet, la troisième partie propose au lecteur d’approcher au plus près la vie syndicale concrète et quotidienne, grâce à différentes études locales ou biographiques. Elles révèlent une pratique syndicale limitée, due au manque de locaux, de moyens humains (ou) matériels (ou) financiers. Les liaisons et la communication sont, de plus, très difficiles. Seules subsistent les réunions internes ou avec les pouvoirs publics. Le syndicalisme légal s’avère à la fois élitiste, par la force des choses, et improvisé. Le sort des Unions Départementales, ni légales ni interdites dans le cadre de la Charte, illustre parfaitement cette situation. Concernant les pratiques du syndicalisme illégal, il est évidemment plus difficile de s’en approcher, faute de sources. La contribution de Bilitza sur les débrayages dans le département de la Seine est à cet égard très intéressante mais dans l’ensemble, l’ouvrage apporte peu de nouvelles réponses (lectorat de la presse clandestine, audience et autorité de la Résistance, pratique des comités populaires). De même, le syndicalisme cégétiste se trouve surreprésenté au détriment du syndicalisme chrétien ou PSF. Il n’en reste pas moins que cette publication passionnante permet au lecteur de mieux appréhender l’objet syndical durant cette période et éclaire sous un nouveau jour ses différentes dimensions et ses différentes strates grâce au croisement des approches nationales et locales, fédérales et interprofessionnelles, individuelles et collectives.

Morgan Poggioli, « Michel Margairaz, Danielle Tartakowsky (dir.), Le syndicalisme dans la France occupée », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 105-106 | 2008, mis en ligne le 22 juin 2009. URL : http://chrhc.revues.org/464

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