100 ans après le soulèvement de Pâques en Irlande, en 1916, remémorons-nous l’histoire de l’Armée Citoyenne Irlandaise, cette organisation d’autodéfense armée, composée essentiellement de syndicalistes.
C’est le 23 novembre 1913, en pleine grève générale à Dublin (« Le lockout de Dublin »), que le leader syndicaliste de l’Irish Transport and General Worker’s Union (ITGWU), James Larkin « Big Jim » appelle à la constitution d’une milice ouvrière d’autodéfense intitulée ICA : l’Irish Citizen Army (Am na Saorànach en Irlandais). L’ICA avait comme drapeau les étoiles de la grande ours sur fond bleu, ou encore, une charrue couplée des étoiles de la grande ours sur fond vert (« starry plough »). L’objectif est d’avoir une structure qui protège les travailleurs irlandais (notamment catholiques) en grève contre les coups de la police et autres serviteurs de la bourgeoisie patronale comme la milice réactionnaire crée en 1912 en Ulster (Irlande du Nord) composée de protestants loyalistes : l’Ulster Volonteer Force. Sur ces bases d’autodéfense, s’ajouteront les résolutions du marxiste James Connolly, autre leader du syndicalisme révolutionnaire et indépendantisme irlandais visant à rendre la milice offensive et capable de représenter les intérêts ouvriers dans le soulèvement national irlandais qu’il pense proche.
Le contexte de création de l’ICA vient du 26 août 1913, quand éclate une grève générale à Dublin menée par l’ITGWU, syndicat puissant dirigé par James Connolly, suite à un conflit à la compagnie des tramways. Avec la répression du mouvement, qui dure jusqu’en février 1914, est donc fondée l’ICA. Celle-ci a comme double objectif de protéger le mouvement ouvrier lors des actions et manifestations, et de préparer la révolution socialiste et nationale. La milice tient ses locaux au Liberty Hall, le quartier général de l’ITGWU. La direction de l’ICA est confiée au capitaine protestant Jack White puis à la comtesse Constance Markiewicz, cette dernière s’occupera de la section féminine de l’organisation. Pour préserver le caractère ouvrier du mouvement, Connolly refuse pour un temps sa fusion avec les Irish Volunteers.
L’ICA puise son inspiration dans les grèves de Cork en 1908 et de Wexford en 1911 où le syndicat national des dockers arme ses piquets de grèves face aux renforts de police venus les déloger. C’est sans rappeler qu’à la même époque, aux Etats-Unis, il était impensable de mener une grève sans en armer les piquets, ce dont James Connolly a pu être témoins lors de son séjour dans ce pays (1903-1910) où il fut militant des Industrial Workers of the World (IWW). L’Armée Citoyenne Irlandaise est bien une milice ouvrière fondée selon les principes syndicalistes révolutionnaires très prégnants à cette époque. Le cinquième point de sa Constitution insiste sur le fait que « chaque membre recruté doit être, si possible, membre d’un syndicat reconnu par le Congrès des syndicats irlandais ». On peut également lire sur l’affiche de recrutement que l’ICA « place sa confiance dans la seule classe qui n’ait jamais trahit l’Irlande – la classe ouvrière irlandaise ».
L’ICA est la seule organisation armée, à ce moment là, à recruter essentiellement au sein de la branche militante de la classe ouvrière qu’est le syndicalisme. James Connolly, de part sa formation syndicaliste révolutionnaire, avait parfaitement saisi la problématique que pour peser dans un rapport de force, qui va s’avérer être un soulèvement populaire alliant prolétariat et petite bourgeoisie nationale, l’autonomie ouvrière devait impérativement être préservée. Et cette autonomie, cette hégémonie, pouvait ensuite, une fois le rapport de force devenu favorable pour les travailleurs, engager certaines alliances, notamment avec le petite bourgeoisie nationale. Il ne faut pas confondre collaboration de classe et alliance de classe sur un objectif précis. L’originalité de l’ICA est d’avoir su maintenir son hégémonie de classe afin de représenter les intérêts ouvriers au sein d’une alliance nationaliste et républicaine visant à rendre l’Irlande à son peuple. Nationalisme (au sens de libération nationale) et Socialisme résumé autour du slogan de James Connolly « La cause du travail est la cause de l’Irlande. La cause de l’Irlande est la cause du travail » est une réalité locale qui permettra à Lénine de dire que l’ICA fut « la première Armée rouge en Europe ».
Le 24 avril 1916, 200 membres de l’ICA participent aux côtés de 550 Irish Volunteers à l’Insurrection de Pâques et déclarent l’indépendance de la République irlandaise. La rébellion est vite écrasée par l’armée britannique, mais Connolly, fusillé le 12 mai, a, pendant les combats, prédit le futur de l’organisation : « Vous n’êtes plus les Volunteers ou la Citizen Army ; il n’y a plus qu’une seule armée, l’Irish Republican Army ».
À la fin du mois de janvier 1919, suite au déclenchement de la guerre d’indépendance irlandaise et d’une nouvelle déclaration d’indépendance, de nombreux membres de l’ICA rejoignent l’Irish Republican Army.
Livres à lire pour approfondir le sujet:
- « James Connolly et le mouvement révolutionnaire irlandais » de Roger Faligot, éditions Terre de Brume
- « La Résistance Irlandaise (1916-2000) » de Roger Faligot, éditions Terre de Brume