Décortiquons la Loi Macron

La loi pour la croissance et l’activité, dite loi Macron a été présentée en conseil des ministres le 10 décembre 2014. Le projet de loi affiche l’objectif de moderniser l’économie et lever les freins à l’activité, pour renouer avec une croissance durable.

Nous pouvons résumer beaucoup plus clairement : réduction des droits pour les salariés, liberté pour les patrons ! Il s’agit d’une véritable régression sociale.

La loi se décline en 4 orientations principales :

– Recours massif à la procédure d’ordonnance :

La loi donne une habilitation systématique à légiférer par ordonnance et renvoie à la prise de décrets ; c’est donc l’exécutif qui décide de tout ! Il n’y aura pas de débat parlementaire et encore moins de consultation des salariés et de leurs organisations syndicales. Ce mode de gouvernance constitue un véritable déni de démocratie.

– Une loi fourre-tout recouvrant 6 champs ministériels :

Les 3 titres de la loi déclinent 3 grandes réformes : moderniser le marché des biens et services, stimuler l’investissement, et développer l’emploi et le dialogue social. Au-delà du ministère de l’économie, elles concernent les ministères du travail, de la justice, de l’environnement, du logement et des finances.

– Une orientation très libérale de la politique du gouvernement :

L’orientation fondamentale est une dérèglementation de tous les droits qui structurent le vivre ensemble. Elle vise particulièrement le droit du travail et en tout premier lieu la justice prud’homale. La loi démontre la prise de contrôle croissante de la politique économique européenne, renvoyant le gouvernement français à un simple rôle d’exécutant. Pour que la croissance reprenne, il suffit de dérèglementer, de favoriser la privatisation et de diminuer les protections des salariés. En fait c’est l’idéologique libérale tendant à démontrer que la question de l’emploi se résout essentiellement en libérant la concurrence, excluant une réelle stratégie de développement industriel.

– Un changement stratégique sur le rôle et la place de l’Etat dans la régulation économique :

L’esprit général de la loi est de consacrer un état « facilitateur », au service des entreprises, à la place d’un état « social ». Dans de nombreux domaines les services de contrôles (par exemple l’inspection du travail) sont mis en difficulté, et les pouvoirs de sanctions édulcorés.

Il semble qu’une nouvelle doctrine de l’Etat actionnaire se dessine. L’Etat pourrait envisager de réduire les niveaux historiques de participation publique dans certaines entreprises, dès lors que le niveau de contrôle ou d’influence de l’Etat actionnaire n’en serait pas significativement affecté. En clair c’est une porte grande ouverte à encore plus de privatisation des services publics.

QUELQUES POINTS PRECIS DE LA LOI :

– Démantèlement du service public de transport ferré par l’ouverture des lignes de transport non urbain aux autocars, donc concurrence avec le rail et ouverture à la concurrence du transport ferré de voyageurs en 2019.

– Privatisation de l’examen du code et du permis poids lourd. Il n’y a pas assez d’inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière donc on privatise. Quid des questions de sécurité, et de fraudes potentielles ?

– Le projet donne la priorité au logement dit intermédiaire (logement proposé pour un loyer maîtrisé à un locataire dont les ressources ne dépassent pas un certain seuil. En échange, le bailleur bénéficie d’une déduction fiscale et éventuellement d’une aide à la réalisation de travaux. Il concerne uniquement le logement ancien). Il y a une forte probabilité d’un désengagement de la puissance publique concernant le financement du logement social.

– La simplification des normes environnementales vise essentiellement à alléger les normes et les obligations au profit de l’économie alors que la situation environnementale devrait plutôt tendre à les renforcer. Là aussi il faut donner le plus de liberté à l’entreprise, prioritaire sur l’environnement. Dans le même temps, les contrôles ne sont pas à la hauteur faute de moyens financiers et humains.

– Un encouragement à la distribution d’actions gratuites. Celles-ci ne seront plus imposées à l’impôt sur le revenu, mais sur la base de l’imposition des plus-values, plus favorable pour les revenus les plus élevés. En outre, les bénéficiaires bénéficieront d’abattement d’autant plus élevés que la durée de détention sera longue. Même s’il existe parfois des distributions d’actions à tous les salariés, il s’agit ni plus ni moins de stock-options qui bénéficieront essentiellement aux salariés les mieux payés, notamment les cadres dirigeants.

– Un encouragement au plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO) : Rappel : le PERCO est un dispositif d’épargne retraite organisé dans le cadre de l’épargne salariale : les fonds sont bloqués jusqu’à la retraite au lieu d’être bloqués 5 ans comme dans le plan d’épargne entreprise (PEE).

– Le projet de loi prévoit la possibilité de mettre en place un PERCO dans les TPE par référendum, disposition qui existait pour le PEE, mais pas pour le PERCO. Il permet également aux salariés des entreprises dépourvues de compte épargne temps de verser jusqu’à l’équivalent de 10 jours de congés non pris dans le PERCO. Ce sont 2 dispositions de nature idéologique visant à promouvoir l’épargne retraite.

– Privatisation partielle annoncée du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies.

– Privatisation des sociétés Aéroports de la Côte d’Azur et Aéroports de Lyon. Cette décision fait suite à celle privatisant l’aéroport de Toulouse, et qui a donné lieu au choix, très contesté, d’investisseurs chinois.

– Les maires pourront autoriser l’ouverture 12 dimanches au lieu de 5.

– Création de Zones Touristiques (ZT) et Zones commerciales (ZC).

– Création des Zones Touristiques Internationales (ZTI). La loi prévoit qu’un décret détermine les critères de ces zones, et qu’un arrêté des ministres compétents prend l’initiative de les créer après concertation avec les élus.

– Le travail du dimanche dans les commerces des gares sera rendu possible soit lorsque les gares feront partie d’un des périmètres évoqués plus haut, soit lorsqu’elles figureront dans un arrêté des ministres compétents. L’article L.3132-25 parle des établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services (ZT, ZC, ZTI). Il y a danger de s’étendre à d’autres professions : banques, poste, assurance, crèche, commerce automobile, agence de voyage et immobilière, etc.

– Modifier la définition du travail de nuit : pour les salarié-e-s des entreprises de vente au détail, les heures de travail comprises dans une amplitude entre 21 heures et 24 heures seraient exclues de la définition du travail de nuit.
Ce projet de loi, s’inscrit dans la logique libérale de déréglementer encore plus le contrat de travail pour les salariés du Commerce dans le but d’une banalisation du travail le dimanche.
Justice prud’hommale.

– La formation initiale et continue des conseillers prud’hommes devient obligatoire. Mais le projet de loi ne précise pas les conditions de mise en place de cette formation et avec quels moyens. Pour la CGT, cette formation ne peut se substituer aux formations syndicales, tant sur les procédures que sur le fond du droit.

– Un recueil des obligations déontologiques des conseillers prud’hommes avec tout un arsenal de sanctions disciplinaires. Pour la CGT le conseiller prud’homme n’est pas un juge comme les autres ! Il est élu sur une liste syndicale. Il a un parti pris pour la catégorie sociale qu’il représente (salariale ou patronale)! Un Conseiller Prud’homme, militant syndical n’aurait plus le droit de distribuer un tract syndical ou de prendre la parole au nom de son syndicat et a fortiori de participer à une action de report d’audience sans risqué d’être radié définitivement.

– Un rôle accru pour le juge départiteur pour un échevinage (juridiction composée simultanément de juges professionnels et non professionnels) déguisé. Le juge départiteur devient un acteur essentiel dans le fonctionnement du CPH. Les parties en litige devant le Bureau de Conciliation pourront obtenir le renvoi devant le juge départiteur lorsqu’elles en feront la demande commune. Ainsi, le projet de loi, sans mettre en place officiellement l’échevinage, instaure une procédure qui va favoriser l’appel à un juge professionnel au détriment des juges prud’hommes !

– Les litiges qui portent sur un licenciement (la grande majorité des saisines des CPH) et les demandes de résiliations judiciaires pourront être renvoyés devant une composition restreinte (un juge employeur et un juge salarié). L’augmentation importante des jugements rendus par une formation restreinte ne réduira pas les délais car les CPH souffrent d’un manque de personnel des greffes et de juges départiteurs, mais pas de conseillers.
Dépénalisation du code du travail

– Ces mesures visent à transférer une partie des (faibles) moyens de la justice sur l’administration qui en a également de moins en moins (austérité oblige). Surtout, elles vont faire des patrons une catégorie à part, protégée de la justice pénale et des audiences publiques, dont les infractions se régleront en toute discrétion à las DIRECCTE et non plus devant les tribunaux. Elles font passer l’idée que les infractions à l’ordre public social seraient moins graves que d’autres, et surtout négociables. Une façon commode de réduire la délinquance patronale, et surtout d’éviter tout débat public sur les responsabilités des patrons et les conséquences de leurs choix.

– La transaction et les sanctions administratives vont empêcher les ayants-droits et les organisations syndicales de se porter partie civile aux procédures. La loi ne prévoit en effet qu’une information, sans préciser si une intervention sera possible. En outre, ils ne pourraient exercer de recours contre les décisions du DIRECCTE. C’est encore couper un peu plus les usagers des agents de l’inspection du travail, dont les procès-verbaux sont souvent attendus.

– Enfin, la transaction et les sanctions ne permettent pas de faire jouer la récidive. La transaction pénale risque également de s’opposer à la mise en oeuvre de dispositions du code pénal, plus sévères, sanctionnant l’atteinte à l’intégrité physique du salarié (accidents du travail, maladies professionnelles, exposition longue à des substances dangereuses).
Sanctions administratives et transaction pénale : les patrons à l’abri !

– Suppression des peines de prison pour les délits d’entrave : Pour l’inspection du travail, tombe ainsi la menace du PV pour délit d’entrave.

– Le juge d’instance tranchera les litiges liés à la préparation des élections (à la place de l’inspection du travail/Directe).

– Les CHSCT seraient tenus par des accords (y compris d’entreprises) pour établir l’ordre du jour : perte de l’autonomie de ses délibérations.

Licenciements

– L’employeur peut désormais fixer unilatéralement le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements. Cet article est tout simplement une ingérence du législateur dans les contentieux en cours devant les tribunaux administratifs. L’employeur est désormais libre de cibler les salariés à licencier dans un établissement, un service, un atelier, c’est la porte ouverte à tous les arbitraires et toutes les discriminations

– Suppression du contrôle par l’administration des licenciements par petits groupes dans les entreprises de plus de 50 salariés. Le ministère justifie cette suppression par le fait que l’article a été mal placé dans le code du travail. Il suffisait simplement de le déplacer au bon endroit.

– Le salarié doit désormais être proactif dans la recherche, qui incombe pourtant à l’employeur, de reclassement. C’est désormais à lui de demander à bénéficier des offres de reclassement à l’étranger. Cet article est peu compréhensible d’autant plus qu’il vise également les entreprises qui ont de simples établissements à l’étranger, et pour lesquels il est donc bien plus facile que dans un groupe de reclasser les salariés. C’est encore une manière de combattre une jurisprudence bien établie favorable aux salariés.
Réforme de la médecine du travail

– le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi relatives à la constatation de l’inaptitude médicale et à ses conséquences au regard du salarié et de l’employeur, ainsi qu’au regard de l’organisation des services de santé au travail et des missions des personnels concourant à ces services, notamment celles des médecins du travail en vue de déterminer des priorités d’intervention au bénéfice d’une application plus effective du droit du travail dans les entreprises.
Le passage par les ordonnances est un véritable scandale. L’avenir des services de santé au travail est un des déterminants d’une politique de santé. Par ailleurs le président de la République a annoncé vouloir ouvrir le champ de la santé au travail à la médecine de ville ! Par ordonnance il sera plus simple de faire passer ce projet insensé.
Ce projet répond aux exigences du Medef.

A Lire également le dossier fait par Economie et Politique: dossier_loi_macron

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